illustration de Michel FR
Ma lecture du roman de Camille Laurens.
Ce n’est pas sans raison que ce vlog naît le 1er novembre 2020, ou le 31 octobre, Halloween, Jour des morts, jour de l’ouverture des portes entre le monde des morts et celui des vivants. Il aurait pu naître aussi en décembre, lors des Saturnales, ou un premier avril… J’aime rire, l’humour, même le plus absurde ou le plus choquant, me semble être une forme de politesse indispensable pour vivre en société aujourd’hui.
C’est Michel de Fribourg qui m’a donné à voir autrement ce que j’écris, avec son sens aigu du trait qui souligne, trace, ombre, voile, met en lumière. Il est mon spotlight. http://www.michelfr.ch
Si j’aime à me définir comme une grand-mère lacanienne, je n’oublie jamais la part de chance qui m’a fait naître, fille, Violaine, en 1956 de Jean et Cécile. Un tel prénom, ça vous installe dans la vie.
La lecture de ce roman autobiographique de Camille Laurens m’a touchée par quelques consonances avec ma vie. Je me souviens encore du plaisir que j’ai ressenti à la naissance de mon premier enfant, mon fils, que j’ai appelé Jan, enlevant une seule lettre au prénom de mon père. Je savais que, tel Janus, il m’ouvrait la porte d’un nouveau monde, et en fermait un autre. Il m’a faite mère.
Ma mère avait six sœurs, qui toutes savaient que le désir de leurs parents était d’avoir enfin un garçon. Toutes, elles adoraient que leur père les appelle encore « les fillettes » alors qu’elles avaient bien 70 ans. Je suis née première, et fille ; jusque-là, ça allait. Et puis le prénom que l’auteure s’est choisi comme pseudonyme[1], Camille, est aussi le prénom épicène que j’ai choisi pour ma fille. Sa sœur jumelle a redonné vie à son deuxième prénom, Alice, que l’auteure a donné dans son roman à sa fille. Mon premier petit-fils s’appelle Adam[2]; mort à trois mois, il aurait aujourd’hui 16 ans. C’est l’aîné d’une ribambelle de cousines et de cousins, Charlotte, Martha,, June, Lemmy, Ava, Adèle, et Viggo… C’est à eux tous que je dédie ce vlog.
[1] Laurence Ruel, qui a fait de son prénom son pseudonyme d’écrivain avec le prénom épicène, Camille. À noter que sa sœur s’appelle Claude…
[2] prénom donné au fils que le père aura (enfin) avec sa nouvelle femme…
Laurence, donc, naît fille, comme sa sœur aînée. Pour son père, c’est une mauvaise nouvelle : « Le champagne va rester dans la 403. » Lorsqu’on lui demande s’il a des enfants, il répond que non, qu’il a deux filles. Par chance, elle naît en France, en ’59, parce que « En Inde, « c’est une fille » est une phrase aujourd’hui interdite. Être une fille dans la campagne française comporte aussi son lot d’insécurité. Sa famille ne la protège pas de l’attentat sexuel : pour elle, le danger viendra de son oncle, avec ses grosses pattes, avec son couteau qui n’était pas un couteau. On n’en dira rien. On lui recommandera juste de l’éviter.
Son prénom ambigu va avoir pour conséquence que la jeune adolescente n’est pas demandée par sa famille d’accueil en échange à Londres. On attendait un Lawrence, un garçon.
Devenir fille, elle nous montre comment elle s’y est prise, pas sans son fantasme, dont elle découvrira une nuit l’effet qu’il a sur son corps, mais pas sans les livres non plus, sans lesquels elle n’aurait pas compris ce qu’est l’amour. Devenir mère, pour Laurence, c’est une autre affaire, puisque la naissance se conjugue avec la mort ; lorsqu’elle perd son premier né[1], elle se réjouit qu’il soit un garçon. Elle comprend alors que la malchance, c’est d’être une fille[2]. Son bébé mort, elle devient vieille, ne croit plus en l’immortalité.
Et puis elle attend une fille. Saura-t-elle l’aimer, elle qui ne savait pas si sa mère l’avait aimée. « De quelle vie puis-je être la femme ? me demandais-je. Je me sentais bonne à rien, fille de peu. J’avais tout raté. »[3] Quand Alice naît, elle préfère rester entre filles… et n’a pas de lait. Sa mère lui explique que « les bébés s’habituent vite à tout obtenir par la plainte, surtout les filles. » Elle n’obéit plus, ou plus aimablement, elle écrit : « Je n’écoute pas les conseils de ma mère. [4]» À sa fille qui dit « mamama », elle répond. Sa fille l’a faite mère. « La chose naît avec le mot ». Elle découvre enfin que l’amour, c’est être là.
Mais Alice parle, elle ne veut pas la robe, elle veut le costume de cowboy. Alors sa mère devient sa femme[5]. Et lorsqu’on la félicite pour son fils, elle se tait. Du reste, elle décide de se nommer Bricolage. Elle rencontre un pédopsychiatre, un gaucher, qui lui explique la grammaire de sa fille qui a sa propre logique. Lorsqu’elle dit « J’es un garçon» , «elle a raison, elle suit un garçon.»[6] Sensible à lalangue[7] d’Alice, il entend qu’elle est en vie quand elle dit : « J’es en vie. » Laurence devient alors elle aussi sensible aux dires de sa fille, et peut enfin laisser tomber les règles. Elle peut alors dire qu’elle a eu deux enfants, un garçon et une fille.
Son fils est mort, sa fille est vivante : mais, en l’absence du père, c’est elle qui doit lui apprendre à se défendre contre le désir des hommes. Ainsi, lorsqu’elle croise le regard d’un SDF en rut sur sa fille, elle explique à sa fille ce que son père le lui avait expliqué autrefois, comment se défendre, et qu’il faut se méfier. Pourtant, devenir femme, ça ne s’apprend pas, en tout cas pas avec sa mère : quand Alice, la Fille, se coupe les cheveux, et puis qu’elle a ses « bidules »[8] c’est encore à Laurence, la mère, qu’on reproche de ne pas lui avoir appris la féminité.Enfin, un soir, Alice annonce à sa mère qu’elle ne va pas passer la nuit chez elle, mais chez… une fille. Au cours de la conversation qui s’installe, enfin, Alice apprend à sa mère qu’«une fille, c’est merveilleux »[9] !
On se souvient de Philippe, roman de Camille Laurens chez Gallimard en 2008
Ibidem, p. 162
Ibidem p. 169
Ibidem p. 173
Ibidem, p.174 Une de mes filles disait « ma femme et moi » en parlant de moi …
Ibidem p. 179
J’expliquerai une autre fois ce néologisme lacanien
Ibidem p. 206