Ptom

« Ptom, p’titom, p’titbonhomme vit encore, dans la langue qui s’est crue obligée, entre autres langues, de ptômer la chose coïncidente. »[1]

Comment devient-on un garçon au XXIème siècle ? Pas sans lalangue, la sienne, avec laquelle il s’accroche aux langues, celles des autres, tous ceux auxquels il s’agit de faire payer la dîme. Parmi eux, les copains, les parents, les frères et sœurs, la maîtresse, et les grands-parents… Ptom a quatre ans, il aime rire, il aime faire rire, il jubile de l’effet qu’il provoque avec ses blagues, ses inventions, incessantes et stupéfiantes. Pourquoi parle-t-il avec cet accent-là ? D’où lui vient ce savoir ? Qui lui a appris tout ça ? 

Avec son corps, instrument magnifique, et en se saisissant d’une manière originale des objets qui l’entourent, il travaille depuis peu la question si humaine de la sexuation. À sa grand-mère, sortant de la douche, il pose la question à laquelle, comme toujours, il a déjà la réponse :

Tu n’as pas de zizi ?

Elle pourrait répondre que non, mais elle aussi aime rire, et lui répond à côté :

Si, moi aussi j’en ai un, mais il en dedans.

Bon élève, il déroule alors son répartitoire, comme une chanson : 

Maman en a un en dedans, ma sœur aussi, mon frère en a un en dehors, mon papa en a…un grand.

Voici l’os de sa question : il sait bien qu’il en a un, comme papa, mais il n’est pas sans avoir remarqué la différence. Alors il se met au piano, et il compose sa musique. Dans un premier temps, avec une seule main, puis avec les deux : ça sonne autrement, ça consonne, et ça dissone. Il n’a pas encore l’appui de l’écriture pour distinguer à deux mains de demain. Oui, il sait que demain, il en aura un grand. Dedans, dehors : est-ce surprenant que Ptom déclare dans la même période, quand il apprend que sa sœur a perdu une dent, que lui ne veut pas ? Il ne veut pas perdre dedans. C’est sa sœur qui a perdu, pas lui. C’est très déplaisant d’apprendre que tout le monde perd des dents, mais ça le rassure quand il saisit qu’après, il aura de nouvelles dents, lui aussi, de grandes dents.Tout ça tourne à une vitesse folle, dans un rythme de jerk : il apprend si vite que les autres, autour de lui, en restent ébahis. Comment lui répondre sans boucher une telle curiosité ? Heureusement, les adultes ont toujours un temps de retard, comme Freud le disait déjà en 1927 : « Pensez au contraste attristant entre l’intelligence rayonnante d’un enfant bien portant et la faiblesse mentale d’un adulte moyen. »[2]


[1] Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, édité par Jacques-Alain Miller, Paris, Seuil, 2005, p. 161.

[2] Freud S., 1927, L’Avenir d’une illusion, Paris, Puf, 1971, p. 67.

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