Le dieu grec Éros n’a pas toujours été le petit ange qui se fait piquer par une abeille et à qui sa maman rappelle que les flèches qu’il envoie font bien plus mal… Dans les préaux aussi, on assiste à ce bal masqué de l’amour. Comment peut-on admettre que le désir, lorsqu’il est pur, soit toujours désir de mort ?
Alors que personne n’ignore que la haine soit l’envers de l’amour, et pas son contraire, il est plus difficile d’admettre que dès lors, le principe moteur du monde humain, l’amour, mène à la mort. L’équivoque s’entend pourtant bien entre les langues, ainsi entre l’italien amore, et le français à mort, qui résonne comme Écho répétant la fin des phrases de Narcisse.
Dans cette période de pandémie, où le suicide des jeunes recommence à poser question, il serait utile de rappeler cette proximité entre l’amour, la haine et la mort. L’école est souvent le théâtre de ces mascarades amoureuses, il y a l’objet d’amour, et l’amoureux, et tout autour les spectateurs, qui prennent le parti de l’un ou de l’autre.
N’est-ce pas toujours la même scène, celle sur laquelle Platon, dans son Banquet, faisait monter les personnages publics de son époque : l’éroménos, celui qui est aimé, passif, agalmatique, et l’érastès, l’amoureux, actif, voire guerrier… Pourtant, dans ce bal éternel, comme dans notre monde pandémique, si les masques sont interchangeables, la conséquence peut être tragique : on connaît tous Roméo et Juliette, mais des drames qui se jouent dans les cours de récréation, on ne connaît souvent que la face mortifère.
Ainsi Juliette se moque-t-elle publiquement de Roméo, le visant dans son corps, lui déclarant une flamme ignorée d’elle. Lui en retour, déclare qu’il hait Juliette, pointant un aspect de son corps qu’il livre ainsi à la vindicte publique : le chœur applaudit, se moque, et Juliette sort de la scène. Fin du premier acte. Le chœur se reprend, accuse Roméo : celui-ci, acculé, se lacère au cutter. Mais il ne peut expliquer son geste. Lui-même n’y comprend rien. Entre la haine pour Juliette et la culpabilité qu’on lui rappelle tous les jours de l’avoir poussée au suicide, il n’est pas loin de la suivre sur cette route vers l’a-m-o-r.
Pendant que sur la scène de l’école se joue cette pièce de théâtre, et qu’on attend en vain la comédie par laquelle on peut se détendre, on apprend en coulisse que les parents de Juliette se séparent. La scène de l’école est bien souvent le lieu sur lequel les petits êtres humains apprennent à jouer leur propre rôle, pour devenir demain des grandes personnes[1].
Seront-ils plus prêts, sur la scène du monde, à jouer leur rôle ?
[1] https://www.cnrtl.fr/etymologie/personne Du lat. d’orig. étrusque persona «masque de l’acteur» d’où à l’époque chrétienne «visage, face»; «rôle [au théâtre], caractère, personnage;